Sur le sentier des fées

Je ne sais pas si j'aimerais être des habitants de la ferme là-bas, de l'autre côté de la rivière. Outre que la vie ne doit pas être facile dans ce paysage peu souriant, la petite fée qui garde le pont a le caractère facétieux: cette brunette à la chevelure ébouriffée s'ennuie, et est toujours en train d'inventer de mauvaises farces dont ces pauvres gens sont les victimes: tantôt, elle emmène dans les collines quelques moutons de la bergerie, ils s'égarent et il faut passer des heures à les chercher- même le chien s'y perd! tantôt elle éparpille dans la grange la réserve de foin odorant dans lequel elle se roule, et il faut refaire les tas et les bottes; d'aures fois, elle arrache carottes et navets du jardin avant qu'ils soient arrivés à maturité.

Pourquoi ces "méchancetés"? C'est que les fermiers se moquent de l'existence des fées, et n'ont envers elles aucun de ces petits gestes qui entretiennent leur amitié, comme déposer sur l'appui de la fenêtre une écuelle de lait ou un morceau de tarte (la fermière en fait de délicieuses, dont l'arôme fait venir l'eau à la bouche), ou comme laisser dans un coin du jardin un morceau de miroir, un bout d'étoffe de laine... Non, pas la moindre délicatesse!

Alors, la fée dédaignée se venge, elle qui aimerait tant qu'on tienne compte de son existence, qu'on lui permette en hiver de se réchauffer près des brebis à l'étable ou qu'on lui offre en été un dé à coudre de boisson fraîche et pétillante! Car il en faut peu, finalement, pour rendre une fée contente!

Quand les vacanciers sont partis et que seul le bruit du ressac emplit l'espace, quand les marées ont effacé sur le sable les traces laissées par baigneurs et promeneurs, alors, peu à peu, les fées reviennent occuper les longues étendues des plages désormais vides.

Pendant la période des loisirs en bord de mer, elles préfèrent en effet se retirer dans des lieux plus tranquilles. Mais dès qu'elles le peuvent, c'est à elles de profiter de l'ambiance balnéaire, de respirer l'air vivifiant des baies ouvertes sur le large, et de jouir des reflets du soleil sur les vagues. 

Et quand le grand mauvais temps est vraiment installé, ni vent ni pluie ne les font partir. Elles s'organisent des cachettes secrètes sous les rochers ou entre les racines des arbres et, tout en dégustant des élixirs aux embruns et des friandises aux saveurs sucrées-salées, elles attendent que la météo se radoucisse pour retourner mouiller leurs pieds délicats dans l'écume marine.

Voici une fée qu'il n'est pas bon de rencontrer, et pourtant chacun la trouve un jour sur son chemin. Seulement, quand on la voit, on ignore ce qui va nous arriver à son contact.

Elle se tient là, tranquille, et nous regarde en souriant venir vers elle. Et sans méfiance, l'on s'approche, plus près, encore plus près...

Elle tend vers nous sa petite main fine, elle nous touche, et aussitôt notre vitalité se retire de nous, pour certains très vite, pour d'autres plus lentement, mais ce seul toucher est fatal à celui qui en est victime...

L'air sent déjà l'automne le soir et le matin, mais la chaleur écrase encore bêtes et gens au milieu de la journée. Les arbres immobiles se parent peu à peu de couleurs nouvelles. Et de temps en temps, le souffle imperceptible de la brise passe sur les chemins et les champs. Il caresse les visages, courbe à peine les herbes desséchées et passe sans les faire frémir parmi les feuillages jaunissants. La nature soupire dans l'attente des pluies dont tarde la venue, pendant que les humains profitent le plus possible des derniers rayons du soleil d'été...